Bertolini: «Plus de fair-play serait souhaitable»
14 oct. 2013
ORG
Carlo Bertolini, comment assurez-vous le suivi arbitral et sa garantie de qualité?
Carlo Bertolini:
Chaque arbitre faisant partie du cadre des arbitres d’élite est doté d’un mentor, qui est son interlocuteur direct et qui le soutient par ses conseils. Ensuite, à chaque match, un coach fait partie intégrante de l’équipe arbitrale. Il observe le match depuis les tribunes et, sitôt la partie terminée, il apporte un premier écho à l’arbitre et ils procèdent ensemble à une première analyse à l’aide de la vidéo. Nous organisons aussi régulièrement des ateliers pour assurer la formation continue des arbitres, mais aussi de leurs assistants et de leur coach.
L’opinion publique voue de plus en plus d’attention aux coups de sifflets de l’arbitre. La pression médiatique s’est énormément accrue. En tenez-vous compte?
L’environnement dans lequel l’arbitre évolue a beaucoup changé, il est vrai. Il y a six ans encore, un seul match par semaine était retransmis à la télévision. La tv payante a changé cet aspect des choses. Aujourd’hui, toutes les rencontres de Raiffeisen Super League sont télévisées, ainsi qu’une partie de Brack.ch Challenge League par semaine. L’arbitre se trouve donc sous observation continue, non plus seulement par les spectateurs se rendant au stade, mais aussi par ceux qui suivent les matchs devant leur petit écran et, enfin, par tous ceux qui verront, ensuite, des extraits choisis. Les risques pour l‘arbitre augmentent d’autant. Nous sommes attentifs à cette évolution.
Est-ce à dire que les arbitres reçoivent désormais un coaching médiatique?
Nous traitons le domaine depuis quelques années déjà et différentes choses ont été entreprises. Notre stratégie est proactive et nous tentons d’exploiter les ressources qui nous sont offertes, en organisant régulièrement des ateliers avec nos partenaires principaux, la télévision suisse et Teleclub. Nous visons un maximum de transparence et aimerions que le public comprenne encore mieux les difficultés et les préoccupations du corps arbitral. Certes, je ne demande pas aux spectateurs de nous aimer… Les fans seront toujours attachés subjectivement aux destinées de leur équipe. Mais je pense que nous pouvons tous contribuer à créer une atmosphère constructive dans le football helvétique. Le public fera de plus en plus preuve de bonne volonté pour saisir la complexité de la tâche de l’arbitrage, sans crier continuellement au scandale quand le coup de sifflet ne va pas dans le sens de son équipe. Lorsque je compare la situation actuelle avec celle régnant dans les ligues du sud européen, nous nous trouvons cependant en Suisse dans une situation favorable.
Existe-t-il une ligue modèle à vos yeux?
L’Angleterre reste pour moi l’exemple idéal. Dans le domaine du football, tout l’entourage anglais aborde les événements avec une extrême correction. Les supporters, de quelque bord qu’ils soient, sont d’accord de réprouver les actes de simulation, même si leur équipe a obtenu un penalty de cette manière. C’est le rêve de l’arbitrage. Certes je comprends qu’un joueur tente de récupérer de toutes les manières possibles l’avantage après une perte de balle, notamment, en se laissant tomber dans les seize mètres adverses, mais je trouve dommage que l’arbitre soit abusé. Si tel est le cas, l’arbitre ne doit pas être considéré comme le grand fautif de la scène. La Suisse ferait bien de s’inspirer de l’Angleterre, dans ce domaine.
Que faut-il pour que la Suisse s’approprie cet idéal ou, du moins, s’en approche?
Je n’ai pas la recette miracle. C’est un processus continuel que tous les acteurs du foot, fonctionnaires, médias, spectateurs, joueurs et arbitres, doivent soutenir. Un premier pas serait, à mon avis, que le rôle de l’arbitre durant un match soit perçu comme celui d’un acteur participant activement au jeu, comme le fait le joueur. Il ne doit pas être simplement «l’homme en noir», infaillible par obligation. Il fait juste partie du jeu. En hockey, on voit souvent que les «hommes zébrés» sont copieusement sifflés dès leur entrée sur la glace, avant même qu’ils aient donné le moindre coup de sifflet. Pour quelle raison obscure, l’arbitre est-il considéré comme ennemi? On aura fait un grand pas, quand l'approche par le public aura changé.
Comment jugez-vous les performances arbitrales après ce premier quart du championnat de Suisse?
Je n’exprime pas uniquement mon proprement jugement, je tiens compte des échos et des réactions des médias et des spectateurs. Ainsi, nous nous trouvons, à mon avis, sur le bon chemin. Certes, il y a eu des erreurs d’arbitrage, mais ce qui est positif, c’est que la critique n’a pas débordé et que la sphère privée des arbitres a été respectée. Sur le fond, la critique ne peut concerner que le l’arbitre en tant que sportif, jamais en tant qu’être humain.
Une critique objective concerne l’absence du professionnalisme du corps arbitral. Vous avez fait preuve d’initiative dans ce domaine en vue de cette saison. Parlez-nous des mesures prises!
À mon avis, le professionnalisme ne représente pas le remède miracle. Qu’il soit pro ou amateur, engagé dans une vie professionnelle ailleurs, qu’il soit jeune ou vieux, expérimenté ou novice, l’arbitre commettra toujours des erreurs
(réd.: notez d’ailleurs la nuance dans la langue française: une erreur n’est pas une faute; la première est involontaire, la seconde intentionnelle
). Le professionnalisme ne garantit pas l’absence d’erreurs de jugement. Il y aura toujours un risque résiduel. Il nous manque toujours les moyens financiers et le personnel pour mettre sur pied un environnement professionnel, tel qu’il existe en Allemagne, en Angleterre ou en Espagne. Choisir la carrière d’arbitre professionnel recèle aussi des pièges. Que fera l’arbitre après ses 45 ans, âge limite actuel? Je n’ai encore jamais vu une annonce par laquelle on recherche un arbitre expérimenté pour un poste de responsabilité donné. Ainsi, je prône pour l’arbitre d’exercer son hobby avec sérieux, mais de garder au moins un pied et demi dans la vie professionnelle active, car personne ne connaît la durée effective d’une carrière d’arbitre.
Vous venez de nous exposer votre position vis à vis du statut de l’arbitre. Mais quelles sont donc les mesures concrètes entreprises pour cette saison?
Nous avons sensiblement amélioré la situation, grâce à nos partenaires, avec l’Association Suisse du football (ASF) et la Swiss Football League (SFL). Nous garantissons désormais un soutien financier accru à tous les arbitres FIFA helvétiques, qui acceptent de réduire leur temps de travail professionnel à 80% ou moins. En clair, cela signifie que cinq de nos sept arbitres, qui font partie du cadre international, sont désormais en mesure de réserver une journée par semaine à leur activité accessoire d’arbitre. Pour de plus amples mesures, il faudra évidemment davantage de moyens financiers et aussi la preuve que la professionnalisation de l’arbitrage entraine à coup sûr une diminution quantitative des erreurs d’arbitrage.
Avez-vous d’autres plans en chantier?
Nous ne dormons pas et nous tentons continuellement d’explorer d’autres voies. Nous songeons à soutenir davantage la relève et de la prendre en charge plus tôt. Ce n’est pas qu’un aspect financier. Nous ne devons pas négliger non plus les assistants. Dernièrement, nous avons pu déléguer un assistant au niveau de la Ligue des Champions, en la personne de l’arbitre débutant Sandro Pozzi, pour la rencontre Bayern Munich - Spartak Moscou. Quel média a relaté cette sélection? Pratiquement aucun, ce qui est dommage, car pour l’arbitrage suisse, c’est un honneur.
Quelle est la perception de l’arbitre que vous aimeriez voir dans l’opinion publique?
En premier lieu, j’aimerais donc que l’on considère l’arbitre comme un sportif. Ensuite, je souhaite que les joueurs procèdent à leur introspection avant de mettre au centre de toute action l’arbitre. Enfin - et je me garde de viser trop haut -, je souhaite simplement du fair-play. Un exemple: que le joueur touché au pied se tienne le pied, soit, mais qu’il ne se touche pas la tête.
Ecrit parsk/es